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Pèlerinage à Midland

UN PÈLERINAGE DE RECUEILLEMENT ET D’ÉMERVEILLEMENT

Nous étions une quarantaine de paroissiens à bord d’un autobus affrété par une agence de voyage, nous venions de quitter Ottawa vers l’Ouest de la province, et nous nous demandions ce qui nous attendait au bout de la longue route, dans cette ville de Midland si éloignée d’Ottawa, sur les rives de la baie Georgienne.

C’était un mercredi matin, et nous partions pour un long voyage afin d’effectuer un pèlerinage à Sainte-Marie- au-pays- des-Hurons et au Sanctuaire des Martyrs canadiens. Le trajet devait durer toute une journée avant d’atteindre Midland, et prendre également toute une journée pour le retour à Ottawa. Nous craignions donc la fatigue du voyage et l’ennui d’une longue route.

C’était ne pas connaître notre pasteur, l’abbé Michel, qui avait organisé ce voyage et qui nous accompagnait dans ce pèlerinage. Il avait prévu de nous garder occupés, en nous proposant des jeux, quelquefois amusants mais souvent fort sérieux (sur l’orthographe et la géométrie, imaginez donc!), des quizz sur les martyrs canadiens, et même la projection d’un film à l’aller et un autre au retour. Et il assaisonnait tout cela de son sens inimitable de l’humour, de ses taquineries et de sa proverbiale gentillesse.

Nous n’avons pas tardé à nous dégeler, et les grands éclats de rire qui ont commencé à résonner dans l’autobus étaient le prélude à la camaraderie, à la complicité et à l’amitié qui allaient bientôt nous souder dans le groupe.

Nous ne nous sommes cependant pas contentés de rire et de jaser ; l’abbé Michel nous a fait réciter un chapelet spécial, appelé « le chapelet de la miséricorde », pour rester dans l’esprit de l’Année de la Miséricorde proclamée par le pape François. Dans ce chapelet, le Notre Père et les Je vous salue, Marie, sont remplacés par des invocations spéciales. Ces moments de prière, en route, ont jalonné notre progression vers notre pèlerinage.

À Midland, nous avons vécu une journée d’une grande intensité : journée de découverte, journée de plaisir, mais surtout journée de prière et de recueillement.

Nous avons tout d’abord visité Sainte-Marie- au-pays- des-Hurons, le petit village construit par les jésuites français qui y avaient installé leur mission auprès des Hurons en 1639. Reconstruit quasi à l’identique au 20 e siècle sur les ruines du village jésuite, il nous a donné un aperçu vivant et documenté de la vie qu’y ont menée les pères jésuites et leurs alliés hurons-wendat pendant dix ans, soit au total quelque 70 personnes.

Le village renferme une chapelle, des habitations pour les jésuites et pour les Hurons, des réserves. Il est entouré d’une haute palissade, pour le défendre des attaques des Iroquois. Toute une série de guides, de jeunes étudiants francophones pour la plupart, vêtus d’habits d’époque, contribuent à ressusciter la vie de jadis sur ce site magnifique.

Nous sommes allés ensuite au Sanctuaire des Martyrs canadiens. La grande et belle église qui se dresse en son milieu rappelle le martyr de Jean de Brébeuf, d’Isaac Jogues, de Gabriel Lalemant, et de leurs confrères prêtres, frères ou ‘donnés’, c’est-à- dire des laïcs qui les aidaient dans leur tâche contre le gîte et le couvert.

L’abbé Michel a célébré une liturgie émouvante, en ce lieu où ces grands saints qui avaient amené la francophonie en Ontario et planté les premières graines de l’évangélisation de notre pays, avaient choisi, en toute lucidité, de mourir dans d’horribles souffrances plutôt que de renier ce Jésus à qui ils avaient consacré leurs vies. Et la prière commune des pèlerins est montée vers le Seigneur, pour eux, pour leurs familles, et pour la paroisse Sainte-Marie.

Nous nous sommes promenés, remplis d’émerveillement, dans le site du Sanctuaire. Un magnifique chemin de croix en statues grandeur nature nous a mené vers « l’autel papal », un grand et bel autel dressé au milieu de la verdure, où Jean-Paul II avait célébré la messe devant des milliers de pèlerins lors de sa visite au sanctuaire.

Mais Midland n’est pas seulement un lieu de pèlerinage. La petite ville donne sur la baie Georgienne, et nous avons fait une croisière, en fin d’après-midi, dans ce magnifique paysage d’eau, ponctué d’îles verdoyantes, dans la lumière flamboyante qui ricochait sur les vagues en gerbes éblouissantes de clarté.

Dans l’autobus qui nous amenait à Midland, l’abbé Michel nous a projeté un film français qui avait obtenu un grand succès il y a quelques années. Le film, Des hommes et des dieux, raconte l’histoire véridique de six moines français installés dans un monastère de l’Atlas, une chaîne de montagnes algérienne. En 1995, en pleine guerre civile algérienne qui opposait le gouvernement à un soulèvement islamiste, le monastère se trouve dans la zone de conflits. On supplie les moines de le quitter, par peur pour leur vie. Mais ils décident d’y rester car, estiment- ils, le Seigneur leur avait demandé de servir leurs frères algériens musulmans dans ce lieu éloigné, et ils n’allaient pas les abandonner au moment de l’épreuve.

Les six moines ont ensuite été faits prisonniers par les rebelles et sont morts martyrs.

En revenant de notre voyage, je n’ai pu m’empêcher de faire un lien entre ce film et l’épopée des martyrs canadiens. Dans les deux cas, des hommes qui avaient répondu à l’appel du Christ avaient, en toute liberté, préféré le Royaume de Dieu à la sécurité du royaume d’ici-bas. Ils avaient payé, par la souffrance et par la mort, ce choix. Ils nous avaient prouvé que, pour eux, le message du Christ qui nous exhorte à donner notre vie pour ceux qu’on aime n’était pas un vain mot.

Jean Fahmy